Association des Bretons de Noisy-le-Grand et Rives de Marne

Brest - L'explosion de l'Ocean Liberty - 1947 1/2

Le 28 juillet 1947, alors que Brest est en pleine reconstruction suite aux ravages de la guerre, un cargo norvégien explose dans le port occasionnant la mort de près de 30 personnes, des centaines de blessés et des dommages considérables. Et déjà alors, la Bretagne est frappée par le nitrate ...

La cinémathèque de Bretagne a mis en ligne un film pris en direct.

Nous publions ici le témoignage touchant de G. Jaffredoù qui sera suivi, prochainement, par celui de Suzanne qui a également vécu ce drame avec sa famille.

 

Brest - L'explosion de l'Ocean Liberty - 1947 1/2

Résumé du témoignage de Gérard Jaffredoù, paru dans l’hebdomadaire « YA » n° 638 – 639 – 640 en septembre 2017

Traduction du breton: Suzanne Denes.

"Le bateau, l’Océan Liberty, c’était son nom, avait navigué depuis New-York avec un drapeau rouge à son mât : « B, BRAVO », ce qui voulait dire, suivant la règle internationale des signaux en mer : « MATIERES DANGEREUSES A BORD ».

Nous avons assez vite su que ces matières dangereuses-là étaient du nitrate d’ammonium. Il y avait aussi dans la cale du bateau des fûts de pétrole, des essieux de wagons, des pneus d’automobiles… Ceux-ci avaient été débarqués et entassés sur le quai, et c’est là que le feu a pris. C’est de là que venait la fumée noire tellement effrayante.

J’ai compris beaucoup plus tard comment cette affaire-là s’était passée. Le nitrate d’ammonium, ce qui explosa, avait été importé pour faire des engrais chimiques, qui seraient employés après en agriculture. Jusqu’à présent, les paysans se contentaient, en gros, de ce que leur donnaient les vaches : une matière très naturelle et parfaite pour faire du fumier, et gratuit par-dessus le marché. Il n’y avait besoin que de labourer un peu, ma foi. Or, des tas de nitrate étaient produits aux Etats-Unis, pendant la guerre, surtout par les entreprises qui exploitaient le pétrole. Maintenant que la guerre était finie, ils ne savaient plus qu’en faire. On en fit des engrais chimiques qu’achetaient les pays européens. Il y avait moyen de gagner des tas d’argent. Les liberty ship (ils étaient innombrables aussi) furent transformés pour transporter du nitrate.

Le temps était beau et caniculaire, ce jour-là.

Vers midi, alors que nous nous trouvions à table, un homme vint nous crier par la fenêtre ouverte : « il faut partir tout de suite, vite, vite ; ça va sauter ! ».

Tout de suite survint une explosion, la première, terrible. Nous sortîmes très vite. Sous nos pas les débris crissaient. De ce fait, j’ai compris tout de suite que quelque chose de grave venait de se produire.

Nous nous sommes enfuis et avons trouvé un premier abri : l’entrée d’un tunnel, dans la falaise derrière le rempart. Il y faisait noir et humide. Un homme passa à nouveau criant sur nous : « Ne restez pas là ! vous devez quitter le port, aller en ville, en haut, loin, plu loin ! ça va sauter ! ça va sauter ! »

Une fois arrivés en haut, je vis des gens, assez nombreux, aller vers le Cours d’Ajot, pour voir ce qui se passait. J’avais peur pour eux aussi. Mais j’avais surtout peur pour mon père, mon frère, et pour le père de mes camarades. Où étaient-ils ? qu’est-ce qui leur était arrivé ?

Nous avons trouvé un deuxième abri, près de Kerichen dans une petite maison, résidence de la parente d’une voisine à nous qui était avec nous. Et nous voilà rassemblés dans une pièce petite et sombre, assis, un peu tranquilles, enfin. La maîtresse de maison consolait nos mères avec un café.

Et soudain, une explosion épouvantable qui dure … dure … dure ...

J’ai tremblé pendant des jours après, sursautant même à chaque fois que j’entendais une porte claquer, ou au moindre bruit qui survenait de but en blanc.

Longtemps après, j’ai appris ce qui était arrivé.

Environ 50 ans après, mon frère Pierre m’a raconté comment il avait vécu cette affaire-là. Les premiers arrivés sur place étaient les employés des Ponts et Chaussées et ceux de la Chambre de Commerce, envoyés pour lutter contre le feu. Mais ils ne purent rien faire d’utile avec leurs pompes qui étaient bien trop faibles. Le feu était trop fort, même pour les pompiers arrivés très rapidement après. Il fallut que tout le monde quitte le bateau, et vite !

Mon frère avait dû partir en se laissant glisser le long d’un filin qui amarre le bateau au quai. Ils venaient d’enlever l’échelle. Il ne pouvait pas sauter dans la mer qui était couverte de débris de toutes sortes. Il y avait déjà deux remorqueurs qui poussaient le liberty ship pour le détacher doucement du quai.

Le préfet maritime, un sous-amiral d’escadre, avec 4 étoiles sur ses manches, avait décidé que le liberty ship serait tiré au milieu de la rade de Brest, d'où il serait envoyé par le fond à coups de canons. S’il avait été marin, il aurait pu deviner ce qui allait se passer. Le sous-préfet avait ordonné à un petit caboteur, le « Goumier », de tirer les coups de canon nécessaires. Mais il n’y avait pas assez de fond à cet endroit-là de la rade, devant la grève de Saint-Marc où avait été tiré le liberty ship, en raison du vent. En plus, la mer était basse. Le liberty ship s’échoua sur un banc de sable, et, de son côté, le Goumier ne put, pour la même raison, se mettre à un endroit convenable pour tirer efficacement. Ce fut un échec !

Plusieurs marins moururent, qui se trouvaient dans la rade ; et sur terre, 26 brestois au moins, et on a dit qu’il y avait eu une quarantaine d’hommes, ou une cinquantaine, je ne sais pas, qui perdirent la vie. Une cinquantaine d’hommes furent blessés, plusieurs d’entre eux mortellement… la ville de Brest fut aussi ravagée par endroit : des maisons ébranlées, fissurées, des baraques complètement abattues ou renversées par le souffle puissant de l’explosion, ou incendiées par des morceaux de fer chauffés à blanc projeté jusqu’à 4.5km même de l’explosion.

Pendant un certain temps, quand j’allais à l’école, je passais devant un gros morceau de fer du liberty ship ; une pièce qui servait à fixer le bateau au quai était plantée dans le bord du chemin, pas loin de la gare, à 3km de l’explosion. Notre propre baraque en bois avait été détruite comme beaucoup d’autres. ".

 

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